Jean-Paul stéphan 15 novembre 2007
Hyper-spécificité…
Dans un article récent je parlais de Fabien Barel (et de Julien Absalon) comme d'une "bête à concours". Une interview dans VTT Mag N° 210 de décembre 2007 – janvier 2008 le confirme magistralement, d'autant mieux que cette interview trouve une résonance bien particulière avec celle, dans le même magazine, de Cédric Gracia…
Dans mon livre VTT Rouler plus vite à paraître dans quelques mois, je cite plusieurs fois Fabien Barel car son attitude méticuleuse lui donne logiquement une place dans un ouvrage qui fait de la spécificité de l'entraînement une qualité première pour réussir.
Mais là il va vraiment très loin! Et je suppose que nombre de lecteurs ayant lu l'interview n'imaginaient pas avant cette lecture que l'on puisse faire autant de choses précises pour préparer un objectif.
Notons d'ailleurs que si Barel est allé "creuser" aussi profond sa préparation aux championnats du monde de descente de Fort Williams (car c'est de cela qu'il s'agit), c'est parce que un mois seulement avant le mondial il a subi une grosse chute et s'est fracturé le pied en trois endroits. Il explique que c'est ce handicap qui l'a amené à optimiser encore plus sa préparation alors que chacun s'accorde à penser qu'il en est déjà le maître (comme l'était Vouilloz avant lui).
Tout d'abord, Fabien Barel est resté concentré sur l'objectif malgré les fractures. Ensuite, il a utilisé tous les moyens disponibles pour accélérer la cicatrisation : ultrasons, énergéticiens, podologues, pieds dans la glace, bains écossais toutes les deux heures…Il précise même que sans vraiment y croire, il est allé voir plusieurs fois une médium qui lui a mis les mains au-dessus des pieds pendant une heure. Il a démarché une société qui a prêté une machine portable pour activer les cellules osseuses et accélérer la calcification, à raison de trois fois 20 minutes par jour.
Mais ce qui m'a le plus plu dans le souci du détail, c'est cette anecdote : chaque nuit, Barel sortait dehors torse nu pour visualiser la descente dans sa tête…en ressentant l'humidité et les sensations de froid qu'il était certain de retrouver en écosse! Ça, c'est vraiment penser à tout!
Au passage, ce genre de description peut permettre à certains, qui invoquent un peu vite la malchance lors d'une défaite, de se remettre en cause et au boulot au lieu de chercher des excuses.
Fabien a aussi bricolé une chaussure adaptée à ses blessures, a su s'entourer de personnes très motivées qui lui ont préparé et testé un vélo alors que lui-même ne pouvait pas rouler, s'est fait emmener partout par ses parents qui se sont mis en quatre, a su garder la confiance de ses partenaires alors que personne ne misait un euro sur lui pour le titre mondial…Sport individuel, victoire collective. Je dis victoire car cette médaille d'argent est une grande victoire pour Barel, c'est d'ailleurs la performance qui m'a le plus impressionné, et de loin, lors de ces mondiaux et je lui ai dit en personne au Roc d'Azur.
Dans l'interview, il est également question de Steve Peat qui a subi le même genre de blessure que Barel mais qui n'a pas réussi à s'en sortir. Au vu de la quantité d'efforts consentis par Fabien pour se remettre en selle, on ne peut s'empêcher de se demander si Peat a mis autant d'énergie dans la bataille pour se remettre à niveau avant les mondiaux.
Cette interview montre d'une certaine manière qu'en vue d'un grand objectif, énormément de choses se jouent dans les semaines précédant la course. Le jour J, quand c'est bien préparé, c'est surtout des automatismes à dérouler…
L'interview de Barel montre un tempérament très constructif et positif. Quelques pages auparavant, une interview de Cédric Gracia nous montre un coureur très différent. Hyper-doué, Gracia semble capable d'aller plus vite que n'importe qui le jour où il maîtrise tous les paramètres d'une descente. Mais il semble avoir bien des difficultés à la faire, prisonnier d'un tempérament de fêtard et de showman, tempérament bien utile dans certaines circonstances d'ailleurs puisque Gracia bénéficie d'une grosse cote de popularité auprès des free-riders par exemple.
Seulement, un des grands rêves de Gracia c'est de remporter un titre mondial en descente. Or il a buté pendant des années sur Vouilloz (notamment), sans jamais vouloir ni pouvoir s'astreindre au même type de préparation méthodique que lui. Puis il est tombé sur Barel…On sent une certaine amertume dans l'interview de Cédric, on sent qu'il aimerait gagner une fois les championnats du monde pour pouvoir dire "merde" à tout le monde! Évidemment, cette espèce de course contre la montre ne peut qu'engendrer beaucoup de pression et personnellement je pense que malgré toutes les qualités intrinsèques de Gracia, il lui sera maintenant quasiment impossible d'aller chercher le titre mondial car il lui est extrêmement difficile de se mettre dans la peau d'un "simple coureur" qui ne recherche que la performance.
Lors d'un championnat du monde vtt, Barel est en parfaite adéquation avec son tempérament, alors que Gracia lutte contre sa personnalité de showman pour lisser son pilotage…
La compétition de haut niveau, quoiqu'en disent ceux qui parlent de "se faire plaisir" pour masquer leurs angoisses, n'est pas vraiment le domaine du fun. Elle est bien plus celui de la rigueur et de l'optimisation de tous les paramètres. Le terme de "machine à gagner" utilisé par Gracia pour décrire Barel (et Vouilloz auparavant) ne devrait pas être péjoratif mais simplement réaliste. Il faut savoir ce que l'on veut si l'on ne veut pas être tiraillé entre le fun et le résultat.